En mai 2015, 21 présidents d’université signaient la tribune « Universités, Villes et Territoires : quel avenir pour l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) français ? » Ils s’y interrogeaient sur les orientations de la politique de l’ESR. En juillet 2015, réunis à 23, ils formulaient 12 propositions pour des Universités de Recherche et de Formation, pour un modèle politique inclusif, un modèle académique simplifié et un modèle économique pérenne avec des moyens à hauteur des besoins.
Dans cette veine, à la veille d’élections majeures pour notre pays, 29 présidents d’université, membres de l’AUREF, entendent contribuer au débat public sur l’avenir de l’ESR.
Depuis 2007 au moins, le paysage de l’ESR connaît de vastes bouleversements du fait :
- de la loi de 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU ou loi Pécresse (2007) ;
- des investissements d’avenir lancés en 2011 ;
- de la loi de 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite loi Fioraso.
Un passage aux Responsabilités et Compétences Élargies au goût amer
La première réforme de 2007 a pu avoir des effets positifs de responsabilisation des établissements, d’optimisation et de meilleure utilisation des deniers publics, mais elle s’est révélée, faute d’accompagnement financier adéquat et en raison d’une autonomie bridée,
source de profondes difficultés budgétaires pour bien des établissements. Ainsi, alors même que depuis 2013, 1 000 emplois nouveaux sont créés dans l’enseignement supérieur chaque année, entre 2012 et 2015, beaucoup de ces postes ont dû être gelés pour faire face aux
difficultés financières.
Is big beautiful ?
La réforme de 2013, a inscrit l’obligation pour les établissements dépendant du MENESR de se regrouper. Les universités et les écoles ont alors entamé des regroupements de tailles et de périmètres variables mais globalement complexes, qu’il s’agisse des communautés
d’universités et établissements (ComUE), des fusions ou des associations d’un établissement à un autre.
Si cela peut faire sens de voir émerger de puissants pôles universitaires, visibles internationalement, et d’encourager la coordination de stratégies et de moyens, il n’en reste pas moins que ce processus de concentration n’est pas sans danger pour l’ensemble du
paysage de l’ESR. Cela rappelle, dans sa philosophie, le régime appliqué aux communes et aux régions. S’appuyant sur l’hypothèse, restant à prouver, selon laquelle la taille fait la force et que les établissements français seraient trop petits dans la compétition mondiale pour briller dans les classements, le processus engagé semble sans effet sur la place qu’y occupent nos établissements et, surtout, il produit de nombreuses difficultés :
• Création de très grands ensembles dont la gestion est délicate et qui nécessitent l’injection de moyens financiers supplémentaires ;
• Constructions d’organisations chronophages et énergivores au détriment de la production intellectuelle et éducative, les seules mesures de la réussite ;
• Éloignement inexorable des centres de décisions par rapport aux acteurs et citoyens, à l’encontre des objectifs qui sont fixés par la loi ;
• Absence de reconnaissance des écosystèmes locaux performants formation-recherche-innovation ;
• Rabougrissement dans la plupart des régions du paysage de l’ESR et, ipso facto, de leur vie économique, sociale et culturelle.
Un système à deux voire à trois vitesses ?
La situation, bien que complexe, ne serait pas trop inquiétante si elle ne se doublait pas des appels des Projets d’investissements d’Avenir (PIA), dont la logique de recherche de l’excellence internationale pour l’ESR s’accompagne d’un rejet de toute vision d’aménagement territorial d’ensemble. Cela est source de fragilisation :
• Concentration des moyens sur quelques sites dans le même temps où de nombreuses universités rencontrent de grandes difficultés financières et humaines ;
• Mise en concurrence des universités françaises entre elles sur des bases discutables ;
• Évolution vers un système à deux, voire trois vitesses entre les grandes universités lauréates dites « de recherche » fortement dotées en moyens et implantées dans de grandes villes ou métropoles, des universités de formation et de recherche chroniquement sous-financées et sous encadrées, et des « collèges universitaires » sans plus aucune recherche et réduits à la portion congrue ;
• Poursuite du rapide développement de l’enseignement supérieur privé qui se révèle coûteux pour les familles, etc.
Conjuguées aux lois MAPTAM et NoTRE instituant des métropoles aux compétences et aux moyens renforcés, les PIA ne manquent pas d’interroger sur la conception du système national de l’ESR et l’avenir des écosystèmes locaux formation-recherche-innovation. Le
questionnement porte tout autant sur la qualité et la diversité de l’ESR que sur la pérennité, en lien avec lui, d’un écosystème économique et social diversifié, efficace et réparti sur l’ensemble du territoire.
Très engagés dans les réformes et l’innovation et contribuant à l’excellence de la recherche et de la formation, les établissements membres l’Alliance des Universités de Recherche et de Formation (AUREF) interpellent les candidats à l’élection présidentielle, à l’heure où se
construisent les programmes de gouvernement pour les cinq prochaines années :
• Misons sur l’enseignement supérieur et la recherche partout sur le territoire ;
• Finissons-en avec l’idéologie de la concentration massive comme mesure de la réussite ;
• Mettons fin à la coûteuse et inefficace concurrence intra-nationale au profit d’une complémentarité éclairée ;
• Ne sacrifions pas la formation au profit de la recherche, et inversement ;
• Ayons des objectifs ambitieux et réalistes pour l’ESR français et ses territoires en affectant les moyens nécessaires à la réalisation de ses missions de service public et à son développement.
En définitive, l’AUREF appelle de ses vœux une analyse et une politique soutenant des universités de recherche et de formation, partout sur le territoire, favorisant un développement équilibré des territoires, une croissance partagée et une société qui se doit d’être inclusive pour promouvoir l’égalité des chances. Ce sont des conditions de la réussite de notre pays.
Rappel des 8 premières propositions des Universités de Recherche et de Formation (juillet 2015)
1. La liaison organique entre l’État et les universités doit être maintenue et renforcée, et celle avec les collectivités territoriales confortée.
2. Le lien indissociable entre la formation et la recherche au sein des universités, quelle que soit leur taille, doit être réaffirmé clairement.
3. La différenciation entre universités justifie qu’elles ne poursuivent pas toutes une même stratégie à l’international (stratégie de niche, stratégie de classement, etc.), tout en développant des projets de qualité en formation et en recherche sur un territoire donné.
4. Les modèles de constitution et d’administration des regroupements d’universités doivent être simplifiés pour rendre les fonctionnements humainement et financièrement soutenables.
5. La gouvernance des regroupements doit permettre à tous les établissements non seulement de pouvoir s’exprimer mais aussi d’être entendus.
6. Les moyens accordés aux COMUE doivent être affectés en interne de manière équitable.
7. Une réflexion globale sur les modes de financement de l’ESR (financements récurrents et sur projets, CPER, PIA, etc.) et leurs conséquences sur les territoires doit être menée rapidement.
8. Doivent être programmés de toute urgence, dans le cadre du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, un financement de l’ESR à la mesure des missions qui lui sont assignées, des ambitions de développement de notre pays, de sa place
à l’échelle internationale. Dans ce but, la mise en œuvre d’un plan pluriannuel de l’emploi scientifique, intégré dans une loi de programmation des finances publiques, est urgente et indispensable.
Les 29 signataires :
Annick ALLAIGRE, Présidente de l’Université de Paris 8 Vincennes Saint-Denis
Joël ALEXANDRE, Président de l’Université de Rouen Normandie
Mohamed AMARA, Président de l’Université de Pau et Pays de l’Adour
Mohamed BENLAHSEN, Président de l’Université de Picardie Jules Verne
Éric BOUTIN, Président de l’Université de Toulon
Alain CELERIER, Président de l’Université de Limoges
Olivier DAVID Président de l’Université de Rennes 2
Nathalie DOMPNIER, Présidente de l’Université de Lyon 2
Pierre DENISE, Président de l’Université de Caen-Normandie
Rachid EL GUERJOUMA, Président de Mans Université
Philippe ELLERKAMP, Président de l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
Christine GANGLOFF-ZIEGLER, Présidente de l’Université de Haute-Alsace
Guillaume GELLE, Président de l’Université de Reims Champagne Ardenne
Patrick GILLI, Président de l’Université Paul-Valéry, Montpellier 3
Yves JEAN, Président de l’Université de Poitiers
Daniel LACROIX, Président de l’Université Jean Jaurès, Toulouse
Fabrice LORENTE, Président de l’Université de Perpignan Via Domitia
Pasquale MAMMONE, Président de l’Université d’Artois
Frédéric MIRANVILLE, Président de l’Université de La Réunion
Jean-Marc OGIER, Président de l’Université de la Rochelle
Jean PEETERS, Président de l’Université de Bretagne-Sud
Pascal REGHEM, Président de l’Université du Havre
Christian ROBLEDO, Président de l’Université d’Angers
Hassane SADOK, Président de l’Université du Littoral
Pierre-Marie ROMANI, Président de l’Université de Corte
Emmanuel ROUX, Président de l’Université de Nîmes
Hélène VELASCO GRACIET, Présidente de l’Université Bordeaux Montaigne
Philippe VENDRIX, Président de l’Université François-Rabelais, Tours
Denis VARASCHIN, Président de l’Université Savoie Mont Blanc