Droits d’inscription pour les étrangers extra-communautaires

Gouvernance

Le Premier Ministre vient d’annoncer l’augmentation des droits d’inscription des étudiants extracommunautaires de 170€ à 2 770 € en licence et, respectivement, de 243€ et 380€ à 3 770 € en master et en doctorat.
Cette mesure interroge le principe d’une Université française ouverte à tous et la stratégie internationale de la France en matière d’accueil des étudiants étrangers et de développement de la francophonie alors que la France est le premier pays d’accueil non anglophone. Cela pose aussi la question de la conformité de cette augmentation avec la constitution de 1958, qui dispose que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïc à tous les degrés est un
devoir de l’État. »

Ainsi, cette déclaration, paradoxalement annoncée sous la bannière « Bienvenue en France », mérite d’être analysée à la lumière du récent rapport de la Cour des comptes et des chiffres de Campus France.

Pour mémoire, les universités ont accueilli plus de 231 000 étudiants étrangers en 2016/2017, la France étant la 4ème destination d’accueil dans le monde après les USA, la Grande-Bretagne et l’Australie, suivie de près par l’Allemagne et la Russie. Pourtant, de 2012 à 2015, elle a déjà perdu une partie de son attractivité avec une diminution de près de 12% des effectifs des étudiants internationaux, la France étant le seul pays, avec le Japon, à régresser parmi les 20 destinations les plus demandées.

Si l’on soustrait les étudiants communautaires et ceux bénéficiant d’une bourse ou d’une exonération de droit, 133 000 étudiants pourraient être effectivement concernés par la mesure d’augmentation des droits d’inscription. Cela n’inclut pas les exonérations qui pourraient relever de la politique des établissements, en lien notamment avec les accords de coopération conclus avec leurs partenaires internationaux. Cela ne prend pas non plus en compte l’inévitable effet d’éviction d’une proportion d’étudiants étrangers qui, par comparaison avec des pays étrangers tels la Suède ou le Danemark ayant pris ce type de mesures, peut être évalué les premières années à plus de 35%.

Nous assistons ainsi à une forme de renoncement à l’investissement diplomatique dans l’enseignement supérieur et la recherche au moment même où l’Etat cherche, à travers des programmes d’investissement d’avenir très ciblés, à faire émerger 3 ou 4 « champions » internationaux parmi les universités françaises. Et pourtant la Cour des comptes relève que « l’éventuel effet d’éviction lié à la modulation des droits en fonction de la nationalité revêt une importance stratégique pour l’attractivité de la France, sa diplomatie d’influence et son économie » en soulignant les effets négatifs qui en découleraient. En effet, sur la partie économique qui est mesurable, Campus
France évalue l’apport des étudiants internationaux à l’économie française, à environ 1,7 Md€. Cela ne prend bien entendu pas en compte la propension des économies des pays développés à « aspirer » les compétences dont elles ont besoin, dans les pays moins favorisés, les privant ainsi d’un potentiel certain de développement sans avoir participé à leur éducation ou en l’ayant fait partiellement seulement. Enfin, n’oublions pas que certaines filières, comme par exemple les mathématiques, l’informatique, la mécanique, pourraient être
considérablement réduites sans l’apport des étudiants internationaux alors que les besoins de recrutement en France sont importants dans ces domaines.

Face à cette perspective d’une augmentation des droits d’inscription, certains pays comme l’Egypte ou la Turquie ont déjà indiqué qu’ils étaient prêts à accueillir les étudiants qui ne seraient plus en mesure de venir étudier en France afin de bénéficier de cette manne et d’étendre leur influence. Cela desservira nécessairement la francophonie, autre facteur d’influence, alors que celle-ci progresse entre autres grâce aux séjours d’études, sachant pourtant que 9 étudiants sur 10 venant en France sont également anglophones. Et d’autres
pays s’inquiètent face aux options qu’il faudra proposer demain à leurs étudiants en termes de choix d’une langue étrangère et de mobilité.

Par ailleurs, alors qu’est régulièrement affirmée la nécessité de développer l’attractivité de la recherche française, la mise en place de droits différenciés pour les doctorants est particulièrement inopportune, le vivier des doctorants ayant déjà diminué de 15% entre 2009 et 2016. Cela va à l’encontre des conclusions de la Cour des comptes mais aussi de France Stratégie qui insistait sur la nécessité de préserver une logique d’attraction des étudiants internationaux les plus qualifiés pour soutenir la recherche dans les laboratoires publics.

Ainsi, il apparait clairement que le gain attendu de ces droits différenciés pour l’inscription dans une filière menant à un diplôme national sera sans commune mesure avec la somme des effets négatifs que cela générera, tant du point de vue humain que scientifique, stratégique ou économique. Au demeurant, les ressources générées, diminuées par le doublement annoncé des bourses de l’Etat français et par le financement des mesures d’accueil supplémentaires annoncées spécifiquement pour les étudiants internationaux, ne permettront
pas de répondre à la question récurrente du sous-financement des universités.

Ainsi l’AUREF considère que la mise en place de droits d’inscription différenciés, faite sans concertation, aura un effet globalement négatif pour la France et la francophonie. En tout état de cause, cela n’évitera pas le débat nécessaire sur la stratégie générale de l’Etat en ce qui concerne l’avenir et le financement de l’enseignement supérieur et de la recherche publics dans un cadre constitutionnel qui affirme sa gratuité.